HISTOIRE DE GERMAIN

Une figure oranaise nommée "CAMEMBERT"




GERMAIN SOLER

...Au début des années 30, alors que le faubourg du dessus des falaises de Gambetta n'était qu'un amas de petites maison désordonnées, un jeune instituteur et son épouse étaient arrivés de Métropole. L'homme était donné comme " bizarre " mais, dans ce pays, tout ce qui n'était pas soi était bizarre.

... Il s'était installé dans une des maisonnettes, juste en dessous du bord de la falaise. On y accédait par un étroit sentier envahi de chardons qui, le 24 juin, alimentaient les feux de la Saint Jean. Pour les gens du quartier, se loger là, là où on ne voyait devant soi que la mer et derrière soi que le sommet de la falaise, c'était refuser de vivre avec les autres,,,,,,,,,,,,, et ce n'était peut-être pas faux !

... L'instituteur, quoique fort apprécié des parents des enfants auxquels il dispensait son savoir, était peu causant, taciturne et même poète, chose incompréhensible par tout être normal habitant ce quartier. Au beau milieu d'une nuit, laissant sa femme dans le lit commun, l'homme se leva pour aller préparer une tisane ou quelqu'autre boisson dans la cuisine. Il s'assit devant la table, une tasse à la main Et le ciel s'effondra. Non, pas le ciel, mais tout un pan de la falaise. Brusquement, mille tonnerres et, devant ses yeux, une immense fenêtre, grande comme toute la maison et plus rien derrière.

...Lorsque les premiers secours arrivèrent, tardivement, le lendemain, on découvrit l'instituteur, toujours assis, pétrifié, la tasse encore à la main, les yeux ouverts fixement, ne battant même plus des paupières, n'entendant plus, ne parlant plus. A l'hôpital, on conclut qu'il n'était pas blessé et on l'emmena au pavillon des fous qui n'était pas encore hôpital psychiatrique. II était calme, A toutes les questions qu'on lui posait, il répondait : " Germaine ". Etait-ce le nom de son épouse ???

...Peu à peu, il retrouva ses réflexes naturels, on le vit lire les journaux, mais il ne disait toujours que " Germaine ". Les infirmiers qui, bien sûr l'avaient surnommé Germain, relâchèrent leur surveillance et il s'enfuit ! On le retrouve, le ramena, mais il s'enfuit de nouveau ! On finit par abandonner, considérant qu'il n'était pas dangereux. Il trouva refuge dans les petites grottes que l'effondrement de la falaise avait mises à jour. Y attendait-il le retour de l'épouse qui dormait là, sous des mètres de roches ?

...On s'habitua à lui, on oublia son nom, son vrai nom, il devint à jamais GERMAIN ! Jusqu'à ce que l'alcool le rendît farouche, presque sauvage, il ne manqua de rien. Les habitants du faubourg veillaient; un clochard européen était une anomalie qu'il fallait atténuer. Et l'homme devenu, ou considéré comme simple d'esprit, était désormais sous la protection divine, même si Dieu déléguait cette tâche aux hommes. Malheur au gamin que son père aurait surpris taquinant Germain ! Les enfants doivent apprendre le respect et, ces mêmes chenapans se seraient précipités pour le secourir si d'aventure il avait trébuché en descendant un trottoir, ou l'auraient retenu de toutes leurs forces s'il avait voulu traverser un flot de voitures

...ET VOILA QUE GERMAIN SERA AUSSI APPELE * CAMEMBERT * Ce surnom lui aurait été donné à la suite, disaient les mauvaises langues, toujours bien informées, d'une de ses nombreuses mésaventures ! Un jour qu'il avait amassé quelques pièces de monnaie, il se présenta dans une épicerie pour y acheter un fromage et l'inévitable pinard qui devait l'accompagner. Germain n'était pas un esprit simple et au bout de longues digressions, sur la qualité des pièces qui lui étaient proposées, l'épicier sentit la moutarde lui monter au nez puis, n'y tenant plus, saisit un camembert bien avancé, le découvrit et le plaqua sur le visage de Camembert en criant : « Et celui-là, il est comment ????? »
Germain quitta la boutique, dégoulinant, proférant d'innombrables imprécations, racontant son histoire aux passants qui s'empressèrent de lui donner ce nom de baptême.

... Ce fut d'abord dans ce faubourg installé sur les falaises de l'est où Germain avait ses quartiers. Puis le nom de Camembert se répandit, progressivement... en fonction de ses incursions dans d'autres quartiers de la ville. Germain n'était pas le seul clochard de la ville. Il y en avait plusieurs qui nichaient, soit dans les bidonvilles, soit dans des masures abandonnées, voire des grottes. Ils étaient presque tous arabes, à l'exception de «va-et-vient» , célèbre chanteur de rues, avec sa guitare confectionnée à partir d'un .../... manche à balai et d'un bidon d'huile... mais sa grande spécialité c'était de fabriquer des petits personnages, en mie de pain. Son plus célèbre, ce moine capucin qui avait de subites érections lorsqu'il tirait sur une petite ficelle ! Que de rires et de gloussements à la vue de ce personnage. Nous en citerons encore deux autres, Motta, bien connu de la Marine, buveur invétéré; on dit qu'il s'adonnait même à l'eau de Cologne ! Un autre, peu connu, parcourait certaines rues de la ville, * Gaboté ! *

...Reconnaissons que Germain détonait au milieu de ce petit monde et on le lui faisait sentir régulièrement. Mais il lui arrivait de retrouver souvent ses semblables, pour partager leur quignon de pain et leur pinard, et il n'était pas rare que la beuverie tourne au vinaigre.... et Germain avait rarement le dessus. Le lendemain, on le voyait en ville, traînant sur les trottoirs et dans les squares, tout en plaies et en bosses, hurlant à tout vent : « les pouilleux !.. ils croient qu'ils vont m'avoir comme ça ! Mais ce n'est rien que des pouilleux » Jamais il ne citait autrement ses compatriotes du pays de la Cloche !

... Lorsqu'un passant, plus attentionné que les autres distinguait une plaie sanguinolente, une bosse un peu trop volumineuse, il passait au commissariat et disait : « Germain est au square Gandolphe ( ou autre ), il est blessé » . Aussitôt une voiture de police partait, on y faisait monter Germain, toujours aussi peu coopératif et on le conduisait dans un dispensaire ou à l'hôpital. Une fois soigné, ses < amis > policiers le mettaient en cellule de dégrisement où il reprenait ses diatribes : «Alors les pouilleux, on vous a eux., c'est bien fait pour vous... attendez que je sorte pour que je vous donne votre raclée.... les flics ils n'osent pas, ils ont peur qu'on les accuse de cogner les arabes.... Vous verrez demain ! »

...Ou alors lorsqu'il voyait passer les mauresques voilées, il disait : « // va y avoir une régate au port, les barques à voile sont de sortie » . Ou encore : « il va y avoir une mauvaise mer, les régates sont de retour » . Il fallait alors l'extraire de l'endroit où il était, lui faire la leçon car tous savaient que, dans les jours suivants, le règlement de compte ne se terminerait pas en sa faveur. Germain était incorrigible et son esprit dérangé le poussait quelque peu au masochisme, l'entraînait irrésistiblement vers la bande de clochards qui lui préparaient déjà Une prochaine raclée !

...Les événements qui commencèrent au milieu des années 50 et aboutiront à chasser des milliers de pauvres gens du sol de leurs ancêtres ne favorisèrent pas Germain. Pendant longtemps, la ville resta étonnamment calme, comme à l'abri de la tornade qui s'annonçait. C'était la seule ville du pays, de toute l'Afrique, où la population était majoritairement européenne et cela donnait un sentiment de sécurité. Certes, les nouvelles de la capitale et de l'intérieur arrivaient jusque là, mais sans aucune autre conséquence que des bagarres de mots et des rodomontades chères aux méditerranéens. Puis les choses virèrent brusquement au début des années 60

.... La villa s'agita. Les extrêmes durcirent leurs positions, contraints ou aidés par les décisions des gouvernants de la métropole. Germain n'échappa pas à la psychose ambiante. Seulement, la verdeur de son verbe aggravait ses propos. Il fallait le calmer. La population du quartier veillait. C'est alors qu'il trouva d'autres têtes de turcs : les gardes mobiles ! Les policiers Oranais et les gardes mobiles n'avaient pas les mêmes méthodes .... et Germain se trouva souvent secouru par les nôtres qui devaient le tirer de mauvais pas ! C'est alors que Germain décida de baptiser les gardes mobiles « les Cocus ».. .

...il ne les désigna plus autrement. Il partait souvent en ville, de son pas traînant et, devant le premier bâtiment gardé par ses ennemis, il interpellait l'homme en faction, lui posait des questions sans ambiguïté sur les activités de son épouse pendant sa garde... ou lorsqu'il avait en main son sempiternel pot de peinture et sa bonne vieille brosse, il criait : « tu veux que je te fasse un galon de plus ? Tu l'as bien mérité à force de courir après les français ...! » . Les habitants de la ville écoutaient, sourire aux lèvres. Eux ne pouvaient pas parler.




...A son insu, Germain devint un symbole. ILS NOUS L'ONT TUE A SAINT ANTOINE !!!!!!!!!! Dans les premiers mois de l'année 1962, en ce funeste mois de mars.

... L'Echo d'Oran publia ce faire part :





Documentation : J.C.MARTINEZ (internet)



ce n'est qu'un au revoir

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