Témoignage d' un Oranais


je suis le  roi des menteur!
"Je vous ai compris!"

....Après son passage à Alger le 4 juin 1958 où il enthousiasme la population par son énigmatique « Je vous ai compris », De Gaulle continue vers Oran. Il y parvient le 6 juin en fin de matinée, et traverse la ville où il est follement acclamé par les populations tant européenne que musulmane fraternellement mêlées*.


je suis un menteur!
Les carottes sont cuites!

....Il emprunte la rue d’Arzew (ou rue Général Leclerc) qui doit le mener vers le centre. C’est alors que la célèbre DS 19 passe devant le cinéma Le Rialto. Celui-ci programme un film de Robert Vernay, sorti sur les écrans fin 1956.

Ce film, où l’on peut voir Jeanne Sourza, Raymond Souplex, Pauline Carton et Jackie Sardou entre autres vedettes de l’époque, porte le titre terriblement prémonitoire de « Les carottes sont cuites ».

...Un passant, aujourd’hui définitivement anonyme, immortalise l’instant de ce terrible et prophétique rapprochement : Les Oranais acclamant l’homme qui va, par le mensonge, les mener au malheur, à la mort ou à l’exil, tandis que nul ne voit, juste au-dessus l’avertissement qu’une Cassandre cinéphile nous adressait en vain pour nous ouvrir les yeux.

* Noter parmi les visages visibles, au milieu de la population européenne, la présence de deux musulmanes traditionnellement voilées et d’au minimum un musulman portant un turban.
je suis un menteur!
"Vive l 'Algérie Française!"

....Rappelons pour l’histoire, que de Gaulle, après avoir dit à Oran « Oran, ville que j’aime et que je salue, bonne, chère, grande ville française », De Gaulle va rejoindre le même jour la ville de Mostaganem où, en fin d’après-midi, il prononcera l’irréversible « Vive l’Algérie Française ! ». C’est ce cri lancé devant deux cent mille témoins qui signe le véritable acte de naissance de l’OAS trois ans plus tard, mouvement de résistance, de révolte et de guerre contre le mensonge et la forfaiture gaullistes…

...Pour Oran et Mostaganem, je peux en témoigner. J’avais 16 ans ; j’étais présent aux deux endroits, je n’ai pas oublié.


Discours du général De GAULLE prononcé à Oran, le 6 juin 1958.

accueil chaleureux à Oran!
Accueil triomphal à Oran

....A peine le Général s'est-il présenté à la balustrade qui borde le podium cerné de bleu, blanc, rouge et marqué d'une croix de Lorraine, qu'une formidable ovation éclate. Près de trois cent mille personnes, Français et Musulmans mêlés, dont cent cinquante mille Oranais, ont convergé de toute l'Oranie, de Tlemcen, de Sidi-bel-Abbès, de Mascara, de Bou-Sfer, et sont groupées derrière leurs pancartes.

...Le Général remercie et fait un signe de la main pour calmer les ovations et indiquer qu'il va parler. Au moment où il va commencer son discours, des cris soutenus : « Soustelle ! Soustelle ! » partent d’un côté de la tribune. Jacques Soustelle, qui est au premier rang des officiels au pied de la tribune, se dirige vers ces groupes et leur demande de se taire. La plupart ne l'écoute pas et s'obstine. Le Général se tourne alors vers eux et dit d'une voix forte: « Taisez-vous ! Taisez-vous ! Laissez-moi parler ! » Il peut ensuite, dans l'attention générale, s'adresser au public.



[Charles de Gaulle] :

«La France est ici ! Elle est ici pour toujours. Elle est ici en vous, hommes et femmes d'Algérie de toutes communautés, catégories et confessions. Elle est ici dans son armée qui accomplit une tâche magnifique de sécurité, et avec une ténacité qui restera à jamais gravée dans notre histoire.

Elle est ici en ma personne qu’elle a mandaté pour la conduire. Si vous saviez comme j’en ressens l’honneur et la responsabilité… Oui, oui, elle est ici avec sa vocation. Sa vocation millénaire qui aujourd’hui s’exprime en trois mots : Liberté, Egalité, Fraternité.

Il appartient au gouvernement de la République de prendre acte de ce qui s’est passé sur cette terre d’Algérie, de constater et de souhaiter que le souffle qui s’est élevé embrase tous les Français où qu’ils soient.

Il lui appartient aussi de tirer les conséquences pratiques du grand mouvement, dont à Oran, comme partout sur cette terre, vous offrez le spectacle admirable et réconfortant.

Il faut que toutes les barrières, que tous les privilèges qui existent en Algérie entre les communautés ou dans les communautés disparaissent.

Il faut qu'il y ait en Algérie rien autre chose - mais c'est beaucoup! - que dix millions de Françaises et de Français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Il s'agit notamment que, dans l'occasion immense qui va être offerte dans trois mois à la totalité des citoyens français, l’Algérie tout entière, avec ses dix millions d'habitants, participe de tout son cœur, comme les autres, exactement au même titre, avec la volonté de démontrer par là qu'elle est organiquement une terre française, aujourd'hui et pour toujours.

De cette consultation nationale sortiront -je suis là pour cela- des institutions nouvelles, à l'intérieur desquelles l'Algérie aura, comme les autres Français les auront, ses représentants. Et c'est avec ces représentants que l'on verra ce qu'il y a à faire pour qu'il n'y ait plus ici que dix millions de Français de la même sorte.

Oran m'a donné le spectacle inoubliable d'une foi et d'une volonté qui doivent être à la base de tout ce que nous avons à entreprendre, ici et ailleurs.

Je remercie Oran de tout mon cœur. Je vous convie, tous et toutes, à me suivre dans le chemin, où j'ai le mandat de conduire la France. C'est ici, en particulier, que j'attends votre concours sans condition et sans réserve, ce qui est indispensable, pour que nous ayons à renouveler notre pays du haut en bas, et d'un bout à l'autre.

« Vive Oran, ville que j'aime et que je salue, bonne, chère, grande ville française ! » « Vive la République! Vive la France! »




...Les derniers mots sont écoutés dans le recueillement, puis lorsque le Général prononce les mots : « Oran, bonne, chère, grande ville française ! », la foule ne se contient plus et d’immenses clameurs saluent la fin de cette allocution.
Discours du général De GAULLE prononcé à Mostaganem, le 6 juin 1958.

accueil chaleureux !
Un accueil enthousiaste dans toute l'Algérie française



Discours de Mostaganem , Prononcé (après celui d’Oran) le 6 juin 1958, par le général de Gaulle.

[Charles de Gaulle :]

.... ...La France entière, le monde entier, sont témoins de la preuve que Mostaganem apporte aujourd'hui que tous les Français d'Algérie sont les mêmes Français. Dix millions d'entre eux sont pareils, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

...Il est parti de cette terre magnifique d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s'est élevé de cette terre éprouvée et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa vocation ici et ailleurs.

...C'est grâce à cela que la France a renoncé à un système qui ne convenait ni à sa vocation, ni à son devoir, ni à sa grandeur. C'est à cause de cela, c'est d'abord à cause de vous qu'elle m'a mandaté pour renouveler ses institutions et pour l'entraîner, corps et âme, non plus vers les abîmes où elle courait mais vers les sommets du monde.

...Mais, à ce que vous avez fait pour elle, elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir, c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce d'enfants.

...Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marchent désormais dans la vie en se tenant par la main. Une preuve va être fournie par l'Algérie tout entière que c'est cela qu'elle veut car, d'ici trois mois, tous les Français d'ici, les dix millions de Français d'ici, vont participer, au même titre, à l'expression de la volonté nationale par laquelle, à mon appel, la France fera connaître ce qu'elle veut pour renouveler ses institutions.

... Et puis ici, comme ailleurs, ses représentants seront librement élus et, avec ceux qui viendront ici, nous examinerons en concitoyens, en compatriotes, en frères, tout ce qu'il y a lieu de faire pour que l'avenir de l'Algérie soit, pour tous les enfants de France qui y vivent, ce qu'il doit être, c'est-à-dire prospère, heureux, pacifique et fraternel.

...A ceux, en particulier qui, par désespoir, ont cru devoir ouvrir le combat, je demande de revenir parmi les leurs, de prendre part librement, comme les autres, à l'expression de la volonté de tous ceux qui sont ici. Je leur garantis qu'ils peuvent le faire sans risque, honorablement.

...Mostaganem, merci ! Merci du fond de mon cœur, c'est-à-dire du cœur d'un homme qui sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'Histoire. Merci, merci, d'avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France !
Vive Mostaganem !
Vive l'Algérie française !
Vive la République !
Vive la France !





Place des victoires
Le forum d' Oran : la place des victoires

...Ce discours se situe juste après celui d’Alger du 4 juin 58. Pour ce premier contact avec les Algérois patriotiquement soulevés contre le risque d’abandon de cette terre juridiquement française, De Gaulle prononce l’historique « Je vous ai compris ! ».

...Sans tomber dans l’exégèse, il est certes possible de s’interroger sur le sens exact et profond d’une telle phrase. Plus tard les gaullistes n’hésiteront pas d’ailleurs à semer le trouble à ce propos. Admettons l’existence du débat.

...Quarante-huit heures plus tard, à Oran, DG s’adresse à des Oranais. Cette lapalissade veut préciser un fait : Très différents des Algérois et des Constantinois, les Oranais sont pour une très large majorité, d’origine espagnole andalouse.

...Du fait de cette particularité, et beaucoup plus intensément que les autres villes d’Algérie, Oran est le creuset d’un vrai peuple, naturellement uni par une culture et des traditions. Traditions préexistantes à son installation sur cette région de l’ouest algérien.

...Même si les intéressés ne le perçoivent pas, ce petit peuple oranais forme le groupe le plus important et le plus sûrement soudé de l’histoire des Pieds-noirs. Ceci explique l’extraordinaire cohésion, la combativité, et l’impénétrabilité du mouvement OAS qui se formera et luttera à Oran à partir de Juillet /septembre 1961.

concert de casseroles
Manifestation nocturne et pacifique des Oranais

...Pour la plupart d’entre eux, ils ne connaissent pas la France (sauf pour aller y mourir au moment des guerres), et n’y ont aucune famille. L’Algérie est donc la patrie immédiate, la France demeurant la patrie rêvée.

...Pas d’université à Oran au contraire d’Alger. Les Oranais sont de nature simple, certains diraient primaires ; ils sont bruyants, exubérants, directs, se passionnent au-delà du raisonnable, s’enflamment pour un rien, Et surtout, ils ont une foi aveugle et absolue en la parole donnée.

... S’ils apprécient la joute politique, un peu comme un bon match de boxe où le meilleur va forcément gagner, ils entendent peu de chose aux arguties et autres subtilités du même ordre. C'est-à-dire qu’ils acceptent comme certitude ce qu’un chef reconnu leur a dit. Pour eux, la parole affirmée est toujours une parole donnée, une parole d’honneur ; et l’on ne retire jamais une parole d’honneur. C'est ainsi que l’on peut mourir pour elle, comme en Espagne, en Grèce, en Italie ou en Corse.

...Ce jour-là, 6 juin 1958, par sa méconnaissance absolue des peuples méditerranéens, DG commet une erreur politique absolue : Car ce qu’il vient de clamer, d’abord à Oran puis à Mostaganem (80km plus à l’Est), devant près de trois cent mille personnes constitue un véritable contrat officiel passé entre lui et le peuple d’une ville.

...A Oran, on n’est pas sensible à la casuistique. C’est clair et net : un contrat est un contrat, et on ne trahit pas un contrat. On est un homme, c’est tout et c’est beaucoup ; et l’on se fonde essentiellement plus sur le Droit oral, que sur le Droit écrit comme à Alger.

...Parler, c’est s’engager, c’est jurer. Ce jour-là, De Gaulle vient de jurer… Seul le pire des « falsos* » peut se parjurer et trahir la parole donnée. Un « falso* », on coupe les relations avec lui, on le méprise et on le combat..

...C’est ainsi que la fatalité vient d’installer son décor de tragédie. N’oublions pas : Trois années plus tard, en ces mêmes avenues où il a été follement acclamé par un peuple qui s’est littéralement donné à lui ce jour-là, le même homme qui a prononcé ces phrases définitives à Oran, et l’irréversible « Vive l’Algérie française » qu’il va marteler dans quelques heures à Mostaganem devant des centaines de milliers de témoins .


La répression
Les blindés des gendarmes mobiles contre les civils

...ce même homme, trois ans plus tard, lancera ses blindés (EBR rapides à trois essieux, armés d’un canon de 37mm et d’une mitrailleuse 7,63./ Half-track semi-chenillés portant souvent un affût de quatre mitrailleuses lourdes de 12,7mm), ses avions (Chasseurs T6 armés de rockets), ses hommes (gendarmerie mobile au recrutement souvent douteux), et ses Services spéciaux sans foi ni loi (Barbouzes de Charles PASQUA et de Roger FREY).

... Tout ce déploiement, tout cet arsenal, contre ceux coupables de l’avoir cru de bonne foi, et -irréductibles Oranais- de s’être soulevés contre lui, et ce qu’ils considèrent comme une trahison. Ce soulèvement intervenant après que tous les moyens légaux -ne l’oublions pas- eurent été épuisés :

(Associations de défense dissoutes ou interdites, tel le FAF / Associations politiques dissoutes, tel le très éphémère Parti de la France / Presse régionale régulièrement censurée ou même interdite, tel l’Echo d’Oran / Interdiction systématique des manifestations de protestation (J’y ai perdu une incisive…) / Internement administratif (au camp d’Arcole, ou dans le sud de l’Algérie) prononcé par mesure préfectorale et jamais confirmé par jugement, de personnalités oranaises ayant pris ouvertement le parti de l’Algérie française, tel l’évêque d’Oran Mgr LACASTE. Personnalités qui étaient nos représentants et nos porte-parole naturels).



La répression
Les forces de l'ordre et la répression aveugle!

...Le centre ville de notre ville retentira alors régulièrement, et durant neuf mois (d’octobre 61 à juin 62), des explosions d’obus de 37 et des rafales de mitrailleuses lourdes tirées dans l’axe des avenues, des explosions des rockets de T6 sur certaines terrasses du centre ville (à deux reprises), et des véritables exactions criminelles de cette très particulière gendarmerie mobile.
...Sans oublier l’impitoyable guerre secrète et sanglante que ses Barbouzes mèneront à ceux simplement suspectés de s’être soulevés contre le pouvoir.

...En face de ces meutes : un peuple désordre, brouillon, indiscipliné et sans nuances, mais déterminé, armé de sa certitude, puis d’explosifs (plastic), d’armes de poing, de quelques dizaines de pistolets-mitrailleurs, de fusils et de cocktails Molotov.
...Au fond d’eux et inconsciemment, ces Oranais savaient leur combat sans aucune issue. Mais il ne s’agissait plus de victoire, seulement de leur honneur d’hommes.

...Les Pieds-noirs en général et les Oranais en particulier, n’étaient certes pas des anges, loin s’en faut. Point avares de défauts, durs à la tâche, durs à la peine, toujours rudes avec eux-mêmes et souvent avec leurs enfants, aucun n’avaient oublié les dures leçons de leurs ancêtres.
...Mais du premier au dernier, ils aimaient la France et croyaient aveuglément en elle, comme en une mère lointaine et protectrice…

...Ainsi, ce discours du 6 juin 1958 à Oran, prononcé par Charles de Gaulle juste avant celui de Mostaganem ce même 6 juin après-midi, avec son incontournable et terrible « Vive l’Algérie Française », engage et annonce très clairement la future ultra-violente révolte de notre ville contre un homme indigne qui ne respectait pas sa parole (Oran dixit). Et qui, désormais installé au pouvoir suprême, et sans la moindre explication, agissait exactement à l’inverse de ce à quoi il s’était engagé devant eux…


*Falso : Homme sans parole. Hypocrite. Menteur

...Bien après sa mort, la fondation De Gaulle a tenté d’accréditer l’idée que le général n’aurait crié « Vive l’Algérie française » qu’en toute fin de discours, après une brève interruption ; poussé en cela par les cris identiques clamés par la foule enthousiaste. C'est-à-dire très involontairement, par mimétisme et presque par erreur.

...Toutes les preuves filmiques et sonores démontrent le contraire : le général a crié le slogan tant attendu par les Pieds-noirs après « Vive Mostaganem » et avant « Vive la République » Et cela sans rupture aucune…

...L’historien britannique, Alistair HORNE, (A savage war of peace / 1980/ Albin Michel) peu soupçonnable de sympathie à l’égard des Français d’Algérie, le confirme sans aucune ambiguïté.



Témoinage et commentaires : Gérard ROSENZWEIG


ce n'est qu'un au revoir
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