PIERRE SCHOENDOERFFER




Pierre  Schoendoerffer
Pierre Schoendoerffer

....Mort le 14 mars à 83 ans, Pierre Schoendoerffer laisse une œuvre unique, qui éclaire comme aucune autre les déchirements de l’histoire de France contemporaine.

Pierre  Schoendoerffer
Sur le tournage du film : la 317em section

....C’est un drapeau français qu’on amène, sous la pluie battante qui grêle une colline indochinoise, sous le regard de civils vietnamiens bientôt livrés à la folie collectiviste par la dé­bâcle française. C’est une image de défaite, de regrets déchirants, d’abandon, de dignité aussi. La 317e Section, qui débute ainsi, n’était pas le premier film de Pierre Schoendoerffer, mais cette image sym­bolique ouvrait ce qui allait désormais constituer le cœur douloureux de son œuvre : un requiem majestueux pour une certaine idée de l’honneur, de l’histoire, de la fidélité, de la générosité, pour la croyance aussi en une vocation universelle de la France – pas celle qui ron­ronne et plastronne dans les discours électoraux, mais celle qui se prouve et s’éprouve dans les sacrifices et les combats, dans la boue et les larmes des champs d’honneur.
....Si elle assume pleinement sa dimension de fiction, l’œuvre de Pierre Schoendoerffer est aussi un morceau d’histoire, une contribution décisive au roman national, au récit intime des déchirements qui ont meurtri la conscience française depuis 1940.


Pierre  Schoendoerffer
Les honneurs rendus aux invalides

....Que l’œuvre de Pierre Schoendoerffer appartienne de matière indélébile à la mé­moire française valait bien que le dernier hommage fût rendu, le 19 mars à Saint-Louis des Invalides, ce mémorial des splendeurs et servitudes militaires françaises, à un homme qui fut si lié à nos armées qu’il évoquait son passage dans leurs rangs comme une seconde naissance . Et que cette œuvre relève autant du témoignage que de la création explique que le premier livre qui lui soit consacré, paru il y a quelques semaines, soit issu de la thèse d’une jeune historienne, Bénédicte Chéron .
....Ces blessures de l’histoire française, elles ont marqué la vie de Pierre Schoen­doerffer dès l’origine. Alsacien, il est pourtant né, le 5 mai 1928, à Chamalières : sa famille avait quitté l’Alsace en 1871 pour ne pas devenir allemande. « Ça oblige », commentait le cinéaste. Qui, orphelin à 15 ans et guère doué pour les études, décida tout d’abord de devenir marin. Le natif du Puy-de-Dôme n’avait jamais vu la mer, mais il avait fait mieux : il l’avait lue, et rêvée, dans Melville ou Conrad.
....Mais, au long des nuits de veille sur la Baltique, sa vocation lui naît de l’envie de raconter des histoires. L’écriture intimidant ce dyslexique, ce sera le cinéma ; mais comment faire pour pénétrer ce milieu impénétrable comme « le château de Kafka » ? C’est la mort qui lui ouvre la porte, par le biais d’un article relatant le décès en Indochine d’un cameraman des armées : « Toutes les portes étaient fermées, mais celle-là, personne ne me la disputait. »


Pierre  Schoendoerffer
Cameraman aux armées

.... En 1952, il débarque à Hanoi. Le caporal-chef Schoendoerffer y découvre la vie, la guerre et son métier de cinéaste, qu’il exerce, comme un « guerrier de l’image » : « Il apprend à viser pour obtenir une image comme d’autres ont appris à viser pour se battre et tuer. Les pellicules sont des munitions, dès qu’il tourne, c’est comme s’il tirait. » Guerrier, il partagera avec ses frères d’armes les plus cruelles épreuves : la mort des camarades, la défaite, la captivité. À Diên Biên Phù, il est blessé le 8 mars 1954 et évacué, puis parachuté à nouveau le 18 avec un bataillon de renfort, alors même que l’affaire est déjà perdue : « Parce que c’était la grande ba­taille, parce que c’était la fin. C’était un raisonnement passionnel, ce n’était pas un raisonnement raisonnable. Il fallait que je sois là-bas. Ça me semblait impossible de ne pas y être. »

Pierre  Schoendoerffer
A Dien Bien Phu

....Le 7 mai, c’est la fin, et le début d’une autre épreuve. Sur la captivité, Pierre Schoendoerffer est toujours resté pudique, n’évoquant qu’à mots comptés les terribles souffrances physiques et morales qui lui feront dire plus tard au Crabe Tambour : « J’ai découvert en moi tout ce que je déteste. Un chien qui veut vivre à tout prix. » Libéré au bout de quelques mois, c’est en homme blessé qu’il retourne à la vie civile : « Quand un homme a survécu à une bataille perdue, il se dit qu’il n’en a sans doute pas fait assez puisqu’il est toujours vivant. » De cette culpabilité, Schoendoerffer fera une force positive, la transmuant en devoir de fidélité.

Pierre  Schoendoerffer
Ses premiers films

....Devenu photographe, il vend ses reportages à Paris Match ou à Time. À Hong Kong, il rencontre Joseph Kessel, avec lequel il tournera son premier film, la Passe du diable (1956). Comme dans ses deux films suivants, deux adaptations de Loti, Ramuntcho (1958) et Pêcheur d’Islande (1959), Schoendoerffer fait alors ses gammes, en attendant d’arriver à l’essentiel.

Pierre  Schoendoerffer
Scene du film : La 317em section

....L’essentiel, c’est la 317e Section. Adapté de son propre roman, le film sera immédiatement reconnu à sa sortie en 1964 comme le plus grand film de guerre français, et l’un des plus beaux jamais tournés. La 317e Section est le récit, filmé à hauteur d’homme, sans pathos ni philosophie de guérite, de la retraite dans la jungle indochinoise d’une section des soldats de l’armée française. Profitant de son expérience de “guerrier de l’image”, Schoendoerffer nous immerge dans la fatigue, la peur, l’exaltation, le courage, l’abnégation et les doutes d’une poignée de combattants qui ne sont encore des soldats perdus qu’au sens géographique du terme, mais dont l’isolement symbolise déjà ce divorce entre la nation et son armée qui a si profondément meurtri l’histoire française du demi-siècle.

Anderson
Scene du film : La section Anderson

....Autre section, autre guerre, mais toujours le Viêtnam : c’est la Section Anderson, qui suit une poignée de soldats américains pour mieux mesurer les différences entre les deux guerres : l’une menée au nom d’une histoire d’amour entre deux pays, l’autre comme un simple déplacement de pions dans un jeu de go mondial. Entre-temps, le cinéaste aura retracé, dans Objectif 500 millions (1966), l’itinéraire d’un ancien de l’OAS ayant basculé dans le gangstérisme, avant de retourner au roman pour l’Adieu au roi (1969), qui deviendra plus tard un film de John Milius, qui en fera aussi l'autre grande source, avec le Cœur des ténèbres de Conrad, du scénario qu'il écrivit pour Apocalypse Now. La solitude des combattants et les renoncements des politiques.

Pierre  Schoendoerffer
Scène du film : Le crabe tambour

....En 1977, avec le Crabe Tambour, Schoendoerffer brosse un nouveau volet magistral d’une fresque militaire dont on voit désormais que, des maquis de la Résistance à la blessure indochinoise et à la cassure algérienne, elle constitue bien pour lui un tableau unique, dont chaque pan est incompréhensible sans les autres. Figure mythique de la guerre d’Indochine, passé au putsch en Algérie, le lieutenant de vaisseau Wilsdorff (Jacques Perrin) catalyse la mauvaise conscience d’une armée dont les soldats, quels que soient les choix qui les ont divisés, partagent le sentiment d’être les victimes sacrificielles d’une politique qui a sournoisement renoncé à la grandeur.
Plus tard, dans Là-haut, Schoendoerffer citera Kipling : « Si on demande : pourquoi sommes-nous morts ? Répondez : parce que nos pères nous ont menti. » Mais le film est aussi une poignante méditation sur l’honneur, la dignité, l’amitié par-delà les choix fratricides, la pudeur des sentiments, en même temps qu’un adieu à la France du grand large, magnifiée par les puissantes images de mer de Raoul Coutard.


Pierre  Schoendoerffer
Scène du film : L'honneur d'un capitaine

....La solitude des soldats, les cas de conscience insolubles auxquels ils étaient soumis par un pouvoir politique trop heureux de se dé­charger de ses responsabilités sur des hommes de devoir, l’impossible ligne de crête entre pureté et impuissance, Schoendoerffer les aborde de front dans l’Honneur d’un capitaine (1982), un film d’une honnêteté scrupuleuse sur la torture en Algérie, dont la véracité rend encore aujourd’hui dérisoires tous ceux tournés depuis sur le même sujet.

Pierre  Schoendoerffer
Scène du film : Dien Bien Phu

....Dix ans passeront encore avant que Schoendoerffer puisse mener à bien son solennel hommage à ses camarades tombés au combat dans Diên Biên Phù (1992) : film maladroit, plombé par une interprétation faiblarde et une construction déficiente ; mais soulevé par des scènes de combat d’une puissance lyrique extrême, et l’émotion que continue à inspirer au cinéaste la générosité de ses frères d’armes, qui consentirent à un sacrifice dont ils savaient pertinemment qu’il allait être « gaspillé » et « ce terrible mystère, de tous ces hommes qui se battaient pour une terre qu’ils savaient n’être pas la leur ». Étonnant « sacrifice de l’honneur » d’hommes qui ne luttaient pas pour conserver un empire colonial, mais pour offrir à l’Indochine une indépendance qui soit libre et digne.

Pierre  Schoendoerffer
Scène du film : Là haut,un roi au dessus des nuages

....La boucle est bouclée avec Là-haut (2004), où les guerres coloniales ne sont plus présentes que sous forme des sédiments qu’elles ont laissés dans le cœur des hommes. Convoquant des extraits de ses films précédents et ses acteurs fétiches, le cinéaste évoque une dernière fois la difficulté de rester fidèle à ceux à qui l’on a survécu, alors que les valeurs pour lesquelles ils ont donné leur vie ne paraissent plus à une époque indifférente que des bibelots démodés. Pour autant, parce qu’elle célèbre des valeurs méprisées et des soldats vaincus, l’œuvre de Schoen­doerffer n’est en rien une œuvre de déploration. Parce qu’elle révèle le sens caché d’une histoire qui peut paraître chaotique et absurde : car il est des défaites qui ne sont qu’apparentes et, chaque sacrifice pesant son poids d’éternité, même ce qui paraît “gaspillé” continue de résonner, souterrainement, dans la conscience collective et la mémoire des hommes. Et parce que, victorieux ou défaits, la leçon de noblesse que nous donnent ses personnages n’est pas révolue, mais demeure aussi fraîche que lorsque le cinéaste lui-même l’apprit dans les petits matins brumeux d’Indochine.
« Je suis un survivant, donc un débiteur », disait Schoendoerffer. De cette injustice d’avoir mystérieusement survécu quand d’autres, qui peut-être valaient mieux que vous, sont tombés, Schoendoerffer a tiré une obsession pour la parabole de talents, qu’il a prêtée au commandant du Crabe Tambour (Jean Rochefort) : « Toute ma vie j’ai monté la garde, dit celui-ci. J’ai fait ce que j’ai cru être bien. Mais dites-vous bien que rien n’est jamais acquis. À tout moment on peut trébucher. »


Pierre  Schoendoerffer
En Asie

....Cette crainte, elle aura permis au cinéaste, tout à sa hantise de restituer davantage de talents qu’il n’en a reçu, de signer une œuvre nourrie par une exigence morale peu courante. Pour les personnages de Schoendoerffer, l’honneur, la fidélité, le sacrifice de soi ne sont pas des mots ronflants et flatteurs, de ces décorations qu’on accroche à sa propre poitrine pour parader en contrebandier de la hauteur morale, ce sont des soucis de tous les instants, une inquiétude plutôt qu’un confort.

Pierre  Schoendoerffer
Pierre Schoendoerffer,Membre de l'cadémie des beaux arts

.... Pierre Schoen­doerffer avait placé sous la plume du capitaine Caron de l’Honneur d’un capitaine la fameuse phrase de La Hire, le compagnon de Jeanne d’Arc, que lui-même paraphrasait parfois ainsi : « J’ai fait tout ce qu’un cinéaste a l’habitude de faire. Pour le reste, j’ai fait ce que j’ai pu. » Maintenant qu’il est arrivé là-haut, là-bas, la parabole des talents n’est plus pour Pierre Schoendoerffer un motif d’inquiétude, mais la cause d’une très douce gloire. « Car vous seul donnez, mon Dieu, ce que l’on ne peut attendre que de soi. »


1958 : La Passe du diable
1959 : Ramuntcho
1959 : Pêcheur d'Islande
1963 : Attention ! Hélicoptères (court métrage documentaire)
1965 : La 317e Section
1966 : Objectif 500 millions 1967 : La Section Anderson (documentaire)
1977 : Le Crabe-tambour
1982 : L'Honneur d'un capitaine
1989 : Réminiscence ou la Section Anderson 20 ans après (documentaire)
1992 : Diên Biên Phu
2004 : Là-haut, un roi au-dessus des nuages

Vidéo VIDÉOS - Extraits du film -
- La 317em section -


Documentation : Pierre Schoendoerffer ou l'honneur de témoigner, par Laurent Dandrieu

ce n'est qu'un au revoir
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