ORAN, LA MEMOIRE DES LIEUX DE CULTE




Le fort de Santa Cruz et la Basilique

...Dans une Algérie complexe et bousculée par l’histoire, Oran garde l’image de cette ville festive qui a inventé le Raï et dont la vie nocturne s’empare des beaux jours pour en faire des nuits de fête.

... Mais l’histoire nous rattrape et nous fascine bientôt plus que les voix des chebs. Si la musique nous a attiré dans ce lieu, c’est les traces de ses brassages religieux qui nous donnent envie de rester : quand l’histoire se met à jouer aux poupées russes, une mosquée peut cacher une église ou une synagogue. Et inversement.


Eglise Saint Louis

...A l’intérieur des remparts de la vieille ville, un grand bâtiment décrépi. Renée et Michelle sont les témoins d’une époque où ces quatre murs abritaient la cathédrale Saint-Louis d’Oran. Immigrées à Marseille depuis plus de 40 ans, les deux soeurs sont en pèlerinage sur les lieux de leur première communion. Elles se souviennent des quatre statues de l’entrée, aujourd’hui disparues, et des piliers de la nef derrière lesquels elles se cachaient lorsqu’elles arrivaient en retard à la messe.

... Pendant les 130 ans de présence française, le bâtiment a servi de lieu de culte aux chrétiens. Venues retrouvées leurs souvenirs d’enfance, Renée et Michelle découvrent pourtant une histoire qui ne commence pas en 1831… mais qui est vieille de plus de cinq siècles.

...1509, les Espagnols s’emparent d’Oran. Ils trouvent à l’emplacement de la cathédrale Saint-Louis la mosquée Ibn Bitur. C’est sur les ruines de cette mosquée qu’ils érigent leur église. Deux siècles plus tard, les Ottomans chassent les Espagnols, s’installent dans la ville, et construisent leur mosquée juste en face de l’église… qu’ils offrent aux juifs. Les Espagnols reviennent en 1732 et récupèrent « leur » église, qui reste fonctionnelle jusqu’au tremblement de terre de 1790.

... A leur arrivée à Oran en 1831, les Français trouvent cette église, en partie détruite, et en font leur lieu de culte, pour fêter le retour de la chrétienté dans la ville. La cathédrale Saint-Louis est consacrée en 1867.

... Une mosquée transformée en église qui devient une synagogue avant de redevenir une église: c’est dans les lieux de culte que semble se cacher la mémoire de la ville d’Oran. Ils nous racontent cette longue histoire de conquêtes et de réappropriations territoriales durant laquelle des musulmans ont succédé à des chrétiens et des chrétiens à des musulmans en Algérie. Chaque nouveau pouvoir marquant symboliquement l’espace en convertissant les lieux de culte des vaincus. Jusqu’à aujourd’hui, où l’on ne sait plus très bien à quoi reconnaître une mosquée si ce n’est aux fidèles qui la fréquentent.


La mosquée du Pacha

...Du fort de Santa Cruz, sur le mont qui surplombe la baie d’Oran, on déroule le fil de cette histoire avec Dalila Khiat. Architecte, elle se passionne pour ces lieux de culte qui mélangent les genres et racontent l’histoire coloniale d’Oran. La ville s’est développée au pied de cette colline que les chrétiens espagnols ont occupé dès 1509. En baissant les yeux, on voit la cité d’origine, où se trouve cette première mosquée devenue cathédrale, et qui peu à peu s’étend vers l’orient. Les traces de plusieurs rangées de remparts laissent deviner que les premières enceintes ont été repoussées au cours des siècles, au fil des occupations espagnoles, ottomanes et d’une population qui s’accroît.

...A l’écart des fortifications de la vieille ville, Dalila nous montre une des plus vieille mosquée d’Oran, qui a un air incongru depuis Santa Cruz. Elle est hors des remparts ottomans, où vivait la population. C’est la mosquée des Berranis, des étrangers en arabe. Construite par le Bey ottoman, elle était destinée aux commerçants de passage, que l’on ne voulait pas accueillir à l’intérieur des enceintes. On leur avait attribué une mosquée à l’extérieur de la ville, sur un plateau où les habitants venaient également les retrouver pour échanger des marchandises.

...Suite à l’occupation française, des vagues de populations européennes arrivent à Oran. La cité s’étend peu à peu bien au-delà des remparts espagnols et ottomans, et la mosquée des Berranis est bientôt au centre de la ville nouvelle.


L ' Eglise Saint André

... « La cathédrale Saint-Louis est alors bien trop petite et trop loin pour répondre aux besoins des nouveaux colons et la mosquée des Berranis est transformée en église dès 1844 » raconte Dalila. C’est l’église Saint-André, qui accueillera les fidèles jusqu’en 1962.

...A l’indépendance, l’église Saint-André est convertie par le Ministère des affaires religieuses algérien en mosquée. Les musulmans s’y retrouvent aujourd’hui à l’appel du muezzin, sans savoir peut-être que leur mosquée fut une église il n’y a pas si longtemps. Les photographies d’époque montrent que son clocher a été détruit et un minaret construit quelques mètres plus loin, mais elle garde des traces tenues de l’architecture chrétienne, telles que l’arcature des fenêtres et l’orientation du bâtiment.

... Dans la mosquée actuelle, le mihrab, qui indique la direction de la prière, ne se trouve en effet pas du côté de l’abside mais vers la porte principale. Les fidèles prient donc « à l’envers » selon la logique architecturale chrétienne du bâtiment, en tournant le dos à ce qui était le chœur de l’église Saint-André. C’est une exception pourtant relève Dalila : « La direction de la prière a en effet posé peu de problèmes lors de la réappropriation des lieux de culte en Algérie car aussi bien la Mecque – pour les mosquées – que Jérusalem – pour les synagogues – et l’Orient– pour les églises (avec de nombreuses exceptions) – se trouve vers l’est ».


La cathédrale

...Comme l’église Saint-André, de nombreux lieux de culte chrétiens ont été transformé en mosquées à l’indépendance de l’Algérie. Le chassé-croisé religieux qui traverse l’histoire d’Oran a pris une ampleur particulière dans tout le pays au moment de l’indépendance, quand le nouveau pouvoir a voulu afficher les signes extérieurs de la libération du joug colonial.

... Pour Dalila , « Après 130 ans de présence française, le christianisme est définitivement assimilé à la France en 1962, et on a voulu rompre avec ce passé, en effacer toutes les traces. En convertissant les églises en mosquées le pouvoir affirme le caractère musulman du pays et les Algériens montrent qu’ils sont redevenus les maîtres des lieux ». Cette reconquête spatiale est d’autant moins étonnante que les Français avaient fait pareil en arrivant, en convertissant les mosquées en églises. Et que ce jeu de poupées russes semble marquer toute l’histoire de l’Algérie…


La grande Synagogue

...Du fort de Santa Cruz, on voit les différents quartiers de la ville moderne qui se dessine en contrebas Dalila raconte les plateaux aménagés par le pouvoir français, la « promenade des Anglais » qui longe la mer, les quartiers européens, « nègre », juif qui sont peu à peu construits, jusqu’aux immeubles chics du début du XXième siècle. Et c’est bizarrement au cœur du quartier juif que l’on découvre la Grande mosquée d’Oran… qui n’est rien d’autre que l’ancienne synagogue, inaugurée en 1918. Financée par les familles juives d’Oran, elle peut accueillir jusqu’à mille fidèles.

... Elle nous rappelle que trois communautés religieuses se sont côtoyées ici pendant des siècles. Contrairement à d’autres édifices religieux, elle n’a subi que très peu de transformations lors de sa reconversion. Sur sa façade, l’étoile de David a été retiré et remplacé par le croissant et l’étoile. A l’intérieur, un point d’eau a permis de créer un espace ablution et la salle réservée aux femmes à l’étage supérieur a gardé cette même fonction. Un seul problème s’est posé : l’emplacement de la niche, surélevée de quelques marches dans la synagogue. Pour respecter le niveau unique de la salle de prière d’une mosquée, on a construit un mur au bas des marches, dans lequel se trouve aujourd’hui le mihrab. Derrière, du côté de l’ancienne niche cachée par la cloison, a été aménagé une petite salle pour l’imam.

...Le souvenir de ces brassages religieux est le plus souvent ignoré à Oran tant il a été effacé par les conquêtes coloniales et la réappropriation quasi systématique des églises au moment de l’indépendance. La curiosité de Dalila est relayée aujourd’hui par les visites des Pieds noirs qui, comme Michelle et Andrée, font revivre une autre époque. Mais l’histoire officielle a tiré un trait sur ce patrimoine architecturel.


Notre Dame de Santa Cruz

...Là-haut, devant le fort de Santa Cruz, la statue de Notre-Dame reste un des symboles de cette mémoire et continue de veiller sur Oran, au-delà des blessures de l’histoire.



Dates clefs :
1509 : première conquête espagnole, construction du fort de Santa Cruz.
1708 : première conquête ottomane
1732 : deuxième conquête espagnole
1790 : un tremblement de terre détruit toute la ville
1792 : deuxième conquête ottomane
1830 : L’Algérie est colonisée par la France.
1831 : Oran est occupé par les Français
1867 : L’église Saint-Louis devient la première cathédrale d’Oran.
1913 : Une seconde, celle du Sacré-cœur est inaugurée en 1913.
1954 : début des évènements en Algérie
1962 : indépendance de l’Algérie.



Document internet
de Ségolène Samouiller (journaliste)



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