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LA MIGRATION ITALIENNE EN ALGERIE
....Les Italiens débarquent donc très tôt sur le littoral
algérien. Déjà, avant 1830, le royaume de Naples en 1824, et le royaume de
Sardaigne en 1827 avaient nommé à ALGER des représentants chargés de négocier
avec la Régence des traités de commerce et de protéger les intérêts de leurs
ressortissants.
... C'étaient essentiellement des pêcheurs sardes et napolitains
mais aussi siciliens, toscans et romains.
Le Royaume de Naples
... La conquête ne changea en rien leurs
habitudes, si ce n'est leur nombre qui s'accrut, la présence française
garantissant leur sécurité. Mais ces pêcheurs étaient relativement mal vus par
l'administration qui les accusait de « prendre sans rien apporter ».
... Certes, ils
venaient pendant la saison favorable, s'installaient temporairement sur le
littoral, transportaient avec eux le matériel de pêche mais aussi ce qui était
indispensable à leur alimentation; la saison terminée ils rentraient en Italie
avec le produit intégral de la pêche.
... D'autre part ces pêcheurs étaient
soupçonnés de transporter une population douteuse qui se serait livrée à de
petits trafics de contrebande. Autant d'éléments qui contribuent à ce que les
autorités françaises ne désirent pas leur présence.
... Pourtant, force est de
constater que les Italiens drainent une population entreprenante qui participe
activement à la remise en valeur de LA CALLE dès 1831, et de
COLLO.
Village de La Calle
....Les pêcheurs ne
sont pas seuls à débarquer dans les premiers temps de la conquête puisqu'ils
côtoient des maçons et des ouvriers de bâtiment. Ceux-ci contribuent, selon la
volonté des autorités françaises, à atténuer les caractéristiques
architecturales arabes d'ALGER.
...« les noms de CITATI, PARODI, MARTINELLI,
GAMBINI donnés à des passages de la ville de 1840 rappellent ce fait ». Ces
mêmes ouvriers montrent une certaine ardeur à reconstruire BLIDA dans les années
1840, ils en repartiront lorsque la spéculation immobilière et foncière gagne
tout l'Algérois en 1847.
... Ils suivent également l'armée de BUGEAUD puisqu'on les
recense à ORLEANSVILLE dès 1846, secondant les militaires dans l'élaboration des
fortifications et l'aménagement des routes.
Ouvriers Italiens
....Ces migrants de la première heure se répartissent dans
toute l'Algérie sous contrôle français, ils privilégient certes le littoral,
COLLO et LA CALLE déjà cités, BONE, PHILIPPEVILLE, ALGER qui abrite déjà la plus
forte colonie italienne de l'Algérie, mais aussi l'ouest, où ORAN, MERS EL-KEBIR
et NEMOURS accueillent de nombreux Italiens.
... Une frange de cette population se
disperse déjà dans l'intérieur à TLEMCEM, SIDI BEL ABBES, ORLEANSVILLE, BLIDA,
GUELMA et CONSTANTINE. Cette première migration s'interrompt brutalement avec
les années 1848-50 sous la conjonction de deux faits : la crise économique et
l'épidémie de choléra qui ravage l'Algérie.
... Ou bien les Italiens sont décimés,
ou ils rentrent au pays; leur effectif, à l'image de celui des autres
communautés européennes subit une baisse sensible entre 1847 et
1853.
Pêcheurs Italiens
....Il faut attendre les années 1860 pour que le courant
migratoire connaisse une véritable relance qui ne cessera qu'avec la première
guerre mondiale.
...Pourquoi ? C'est la grande époque de la mise en valeur de
l'Algérie. Le projet de construction de voies ferrées est lancé, le réseau
routier est amélioré, les bases de l'aménagement hydraulique sont jetées, les
mines de l'est sont ouvertes.
....Parallèlement, l'Italie bien qu'unifiée dès 1861, hérite
dès sa création d'une situation économique désastreuse aggravée en 1866 par une
guerre contre l'Autriche afin de libérer la Vénétie.
...Dans le sud, encore sous
l'influence des grands féodaux, le paysan recevait un salaire de misère
oscillant entre 0,75 et 1 franc par jour pour au maximum 150 journées de travail
annuel, alors que le mineur du Constantinois le moins bien payé touchait 2,5
francs par jour pour plus de 200 journées de travail par an. A partir des années
1860, les Italiens débarquent donc en masse en Algérie.
Alger
....Ils arrivent de
Campanie, de Calabre, de Sicile et de Sardaigne, c'est à dire du Mezzogiorno
misérable. Mais le Nord fournit aussi son contingent d'émigrants originaires
prioritairement du Piémont, D'Emilie-Romagne et de Toscane.
... Dans le détail des
localités, nous relevons des Italiens du Golfe de Tarente à BONE et à
PHILIPPEVILLE, des rescapés du cataclysme de MESSINE, des habitants de PROCIDA
proche de NAPLES dans les marines d'ALGER et d'ORAN, des ressortissants de l'île
d'ISCHIA et de TORRE DEL GRECO à BOUDIE et PHILIPPEVILLE, des immigrants de
CEFALU proche de PALERME qui s'installent à CASTIGLIONE dans l'Algérois, des
Sardes D'Oranie, FORMI, JERZU se fixant le long de la frontière
algéro-tunisienne.
...L'émigration livournaise et génoise célèbre dans le commerce
du corail avant 1850 semble avoir laissé la place à des Siciliens vers 1860,
enfin des Turinois et des habitants du Tessin s'installent là où leur qualité de
maçons sont appréciés.
Quai de Margelina à Naples
...Ces immigrants se
répartissent sur le soi algérien dans quatre grands secteurs d'activité: la
pêche, les mines, le bâtiment et les grands travaux.
La pêche: entre
1832 et 1863, les Italiens sont très présents dans la pêche au corail. A titre
d'exemple en 1859 on compte 176 bateaux corailleurs sur tout le littoral
algérien, 154 sont italiens!
...LA CALLE, COLLO, les eaux du Cap Rose proche de BONE sont
les lieux de pêche privilégiés. Les succès italiens suscitent l'intérêt des
Français qui, à partir de 1861 arment de nombreux bateaux. 1864 est la première
année où le nombre de bateaux français supplante celui des Italiens.
... En réalité
outre la concurrence, la désaffection des Italiens a deux causes majeures: des
bancs de coraux sont découverts sur les côtes siciliennes, et surtout les prix
du corail chutent en Italie, ce produit s'avérant moins prisé. La prédominance
française est de courte durée puisqu'en 1867, 60 bateaux sont désarmés faute de
rentabilité suffisante.
... Mais alors que les pêcheurs de corail disparaissent
progressivement, « I pescatori di pesca » prennent le relais. Ils viennent de
GIGLIO, de SESTRI LEVANTE, de MESSINE, de TARENTE, de NAPLES, pêcher la bonite,
le maquereau, l'allache, l'anchois, la sardine, le poulpe. Les sardes se font
une spécialité de la pêche au thon. Dans un premier temps, LA CALLE profite de
cette migration: en 1866 on y compte 4 balancelles, 20 en 1868, 30 en 1869, 60
en 1870, 70 en 1871 montées par 900 hommes qui y stationnent de mars à octobre.
...Au cours de cette même période, les Italiens fondent à BONE la société
d'exploitation du lac FETZARA, dont les directeurs PARTALUPPI et DE TRUMELLO se
chargent d'exporter vers PARIS une partie des 3000 poissons pêchés
quotidiennement.
Saint André de Mers el Kébir port de pêche
... LA CALLE est concurrencée par STORA qui voit arriver tous les ans, en
avril, une centaine de barques italiennes. Enfin, c'est surtout PHILIPPEVILLE
qui se développe progressivement pour devenir le plus grand part de pêche de
l'est algérien sous l'impulsion des Italiens qui se répandent également sur tout
le littoral, ainsi qu'à ALGER où le quartier de la Marine accueille des pêcheurs
mais aussi des ouvriers des salaisons, des friteries, des conserveries.
... En 1880,
ils s'installent à BOU HAROUN proche de CASTIGLIONE dans des conditions
effroyables: pas d'eau potable, pas de route qui les relie aux localités
voisines. Les immigrants s'accrochent, donnent le nom de CHIFFALO à leur
lieu-dit, référence à CEFALU d'où ils sont originaires, prospèrent. Ils sont 120
en 1896, 200 en 1900, 330 en 1905. Le centre connaît une certaine réussite, «
ils ne doivent rien à la colonisation "-
... Au-delà de cet aspect qui peut
paraître artisanal, les Italiens montent de véritables centres d'industrie de la
pêche de la CALLE, dans le Constantinois, à NEMOURS en Oranie, et occupent les
fonctions les plus diverses relatives à l'activité maritime: chefs canotiers,
acconiers, capitaines de port, vendeurs d'agrès, courtiers maritimes.
... Certaines
de ces fonctions à responsabilité les conduisent à être des élus municipaux à
BONE, PHILIPPEVILLE, ALGER. En 1930, L. LACOSTE leur rend un vibrant hommage: «
Il ne faut pas oublier qu'ils furent les ouvriers de la première heure et ne
point méconnaître, que l'intérêt personnel qui les anima fut un levier puissant,
unique peut être en matière d'effort véritable de la colonisation » .
...L'anecdote retiendra qu'en 1859, les pêcheurs napolitains ayant déserté les
rivages de l'Algérois pour se rendre à un pèlerinage, ALGER se trouva privé de
poissons !
Pêcheurs Napolitains à Tipaza
....L'autre grand secteur d'activité dominant dans lequel
excellèrent les Italiens fut les mines. Très tôt, des mines de fer, d'hématite
et de plomb furent exploitées dans l'est à proximité de GUELMA dès les années
1840 sur le territoire des Beni Addoun.
...En 1856 c'est la mine de plomb
argentifère de KIF OUM TEBOUL qui est ouverte près de LA CALLE. Dans le dernier
quart du XIXe siècle sont mis en valeur les gisements de fer et de phosphate
proches de SOUK AHRAS et de TEBESSA, puis ceux d'AIN MOKRA voisins de BONE et
les mines et les carrières de TABABORT TAKINOUT près de BOUGIE. Juste avant la
première guerre mondiale sont découverts les gisements de l'OUENZA.
...L'exploitation du sous-sol Constantinois attire une main d'oeuvre italienne
importante. Les sardes arrivent dans les mines d'AIN MOKRA vers 1860 et en
relation avec cette activité, de nombreux Italiens participent à la construction
de la voie ferrée AIN MOKRA - BONE, d'où le fer est exporté vers l'Europe.
... Les
bourgs proches des mines du Constantinois voient leur population augmenter. En
1900, on recense à TEBESSA 240 Italiens, à SOUK AHRAS ils sont un millier, 447 à
GUELMA, 877 à MORSOTT. Ces chiffres seront en augmentation au recensement de
1921. Il existait une tradition minière en Piémont et en Sardaigne. Les
Piémontais étaient déjà connus en France pour leur travail rude dans les mines
d'ardoise de Savoie. La Sardaigne du XIXe siècle était riche en mines, mais la
récession que l'ile traversa dans le dernier quart du siècle contraignit nombre
de ses citoyens à l'émigration.
... Il semble que dans les mines d'Algérie il y ait
eu une répartition des tâches. Au Piémontais on confiait les travaux les plus
durs, d'extraction du minerai: au Sarde le triage. Certaines mines fermaient
entre juin et septembre à cause des chaleurs excessives; alors, les Sardes
rentraient chez eux pour revenir en Octobre. Les Piémontais s'en allaient louer
leurs bras sur d'autres chantiers, ne revenant pas forcément à la même mine à
l'automne, préférant souvent changer d'employeur.
Ouvriers Italiens
...Le troisième
secteur attractif pour les Italiens est celui du bâtiment et le quatrième, celui
des grands travaux. Dans le bâtiment, nous avons déjà cité ALGER et BLIDA en
partie reconstruite par les Italiens, mais on les remarque à BOUGIE où en 1866
sur 18 maçons, 15 sont Italiens qui feront souche. A PHILIPPEVILLE, à la même
époque, 3 entrepreneurs de travaux publics sur 4 sont italiens.
... Autour de cette
activité gravitent d'autres professions dans lesquelles excellent les Italiens :
plâtriers, briquetiers, marbriers, carreleurs qui font venir la faïence et la
pouzzolane par TRIESTE. Un marbrier de CARRARE découvre les gisements de FILFILA
près de PHILIPPEVILLE et exploite également le gisement d'AIN TOMBALEK sur la
route de TLEMCEM à ORAN. Le marbre noir de SIDI YAHIA près de BOUGIE était
également exploité par des Italiens.
Pêcheurs à Bône
....Mais entre 1860 et 1900, l'Algérie est un gigantesque
chantier avide de main d'oeuvre. En 1879, le vice-consul d'Italie en poste à
Bône délivre à ses concitoyens 1082 livrets d'ouvriers ; en 1880, il en octroie
1215 ! BONE devient alors la ville italienne de l'est algérien.
Main d'oeuvre italienne
...Outre ces quatre grands secteurs où leur contribution
s'est avérée indispensable, les Italiens occupent les métiers du commerce et de
l'artisanat. Les cordonniers palermitains sont connus pour leur habileté, les
Toscans célèbres tresseurs de paille se révèlent pour leur dextérité à fabriquer
des figurines de plâtre. Et si le monde agricole semble être réservé aux
Espagnols, les Italiens y montrent un certain savoir faire à GUYOTVILLE dans les
vergers et primeurs, autour de BONE comme ouvriers viticulteurs, et autour de
PHILIPPEVILLE où ils sont démascleurs dans les forêts de
chêne-liège.
....Auxiliaires
indispensables de la colonisation selon le mot de Maurice WAHL, ils contribuent
donc au développement de l'Algérie coloniale. Au début du siècle, un député à la
chambre remarquait « que l'afflux des migrants (Italiens et Espagnols) ne
diminuera pas d'intensité tant qu'il répond à une nécessité économique ».
Bab el oued Alger
...Après 1918, le courant migratoire se tarit. Un million
d'Italiens se dirigent vers la France entre 1920 et 1930, 190000 vers l'Afrique
Orientale; 120000 en Libye conséquences des conquêtes mussoliniennes et de la
fondation de l'impéro.
...En Algérie, l'absorption de la colonie italienne se fait
lentement. En 1936, on recense très exactement 21009 Italiens, au début des
années 50, moins de 10000. Toutefois si leur nombre diminue progressivement, les
Italiens offrent une certaine visibilité, car ils sont regroupés en micro
communautés à BONE, ALGER, PHILIPPEVILLE pour les plus importantes localités,
mais aussi dans l'ouest algérien dans de petits ports de pêche comme MERS
EL-KEBIR, où sont sauvegardées la langue, les traditions.
... Entre 1928 et 1939,
sous l'impulsion de MUSSOLINI et de la section des Fascistes à l'étranger paraît
un journal, le « MESSAGERO D'ALGERI » qui à ses débuts sortira en langue
française et en langue italienne, puis dans les années trente exclusivement en
italien. A travers la lecture de cet hebdomadaire, on découvre une vie
associative intense, la célébration des fêtes religieuses importantes comme la
Befana L'Epiphanie) ou plus modestes comme Saint-Joseph de la croix (à
GUYOTVILLE) ou encore San Ciro d'Alessandria.
... Des sociétés de bienfaisance
italiennes s'activent pour venir en aide à leurs compatriotes déshérités, des
associations d'anciens combattants se créent, une messe en italien est célébrée
un dimanche par mois dans la cathédrale d'ALGER. Même s'il faut y déceler une
volonté de propagande fasciste, il semble bien que les Italiens apprécient
au-delà de cet aspect politique, de se retrouver entre eux à des moments
privilégiés.
... Gabriel ESQUER note la piété des pêcheurs italiens qui sont
regroupés en confréries et rappelle l'importance de la célébration de
Sainte Lucie de PHILIPPEVILLE. René LESPES, dans l'entre-deux guerres aime se
promener dans les « vicoli » qui rappellent ceux de NAPLES où flotte l'odeur de
la raviolade. Autant de signes qui montrent le caractère vivace des
particularismes italiens, particularismes encore relevés par Pierre BOYER en
1954 dans un article de l'Encyclopédie mensuelle d'Outre-mer.
DOCUMENT : Hubert Zakine (http://hubertzakine.blogspot.fr/)
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