le lieutenant Colonel

JEAN-MARIE BASTIEN-THIRY
le dernier fusillé


Un martyre de l'Algérie Française


11mars 1963

Épilogue tragique de l’attentat du Petit-Clamart, le lieutenant-colonel Jean-Marie Bastien-Thiry, condamné à mort, est fusillé au fort d’Ivry.

...En pleine nuit, à 3 heures, le père Vernet, aumônier général adjoint des prisons de France, pénètre dans la cellule d’un condamné à mort à la prison de Fresnes. À ses côtés : le directeur de cet établissement pénitentiaire, nommé Marti. Le prêtre réveille le condamné : « Mon fils, l’heure est venue. » Le lieutenant-colonel Jean-Marie Bastien- Thiry se lève.

...Il est l’organisateur de l’attentat manqué contre le général de Gaulle au Petit-Clamart, le 22 août 1962. Sans illusion sur son sort, il s’est confessé la veille même au père Vernet. Le 4 mars 1963 est tombé le verdict de la Cour militaire de justice, appelée à juger les conjurés : six condamnations à mort, dont trois par contumace. Il est le premier de la liste. Sa pensée va vers ses deux camarades également incarcérés, Alain Bougrenet de La Tocnaye, chef opérationnel du commando du Petit- Clamart, et Jacques Prévost. On le rassure : le chef de l’État les a graciés. Bastien-Thiry sourit : « C’est très bien. Je suis heureux pour eux. »

...Un autel a été dressé dans une cellule voisine. Il entend la messe, qu’il sert lui-même. Le prêtre, à la communion, rompt l’hostie en deux morceaux : l’un destiné au condamné, l’autre à son épouse, Geneviève. La scène est suivie en silence par ses trois avocats, Jean-Louis Tixier-Vignancour, Bernard Le Corroller et Richard Dupuy. Le président de la Cour militaire de justice, le général Gardet, n’a pas jugé utile de se déplacer et s’est fait représenter par l’un de ses assesseurs, le colonel Reboul, au côté du procureur général Gerthoffer. Bouleversé, Bernard Le Corroller, qui ne croit en rien, confiera plus tard : « Si je me convertis un jour, ce sera grâce au colonel Bastien-Thiry. Lorsqu’il a communié pour la dernière fois ici-bas, une véritable transfiguration a illuminé son visage. »


L’exécution est prévue au fort d’Ivry.

... La police a été déployée en nombre tout le long du parcours. « Un brouillard de flics », écrira le Canard enchaîné, peu suspect de sympathie à l’égard de l’OAS. Au poteau, Bastien-Thiry se laisse attacher les mains, mais refuse le bandeau sur les yeux. Le peloton tire, suivi du coup de grâce. Il est 6 h 40. Le corps sera inhumé au cimetière de Thiais, dans le carré des suppliciés.

Carré des suppliciés à Thiais


...Cette exécution provoquera un profond malaise dans l’opinion. Certes, il y eut la raison d’État. En la personne du général de Gaulle, qui était visé par l’attentat du Petit-Clamart, c’est la Ve République et ses institutions, établies par ses soins, qui l’étaient aussi. La menace était constante, comme l’avait prouvé l’embuscade de Pont-sur-Seine, le 8 septembre 1961, sur la route empruntée par la voiture du Général pour se rendre à Colombey-les-Deux-Églises. Une embuscade déjà organisée par Bastien-Thiry.


Si l’on en croit les confidences du général de Boissieu

... alors colonel, gendre du général de Gaulle, qui accompagnait celui-ci dans la voiture le conduisant de l’Élysée à l’aérodrome de Villacoublay où il devait prendre, cette fois, un avion l’acheminant à Saint-Dizier avant de rejoindre Colombey, le président de la République aurait été ulcéré que les conjurés aient pris le risque de tuer sa femme en l’ayant pris lui-même pour cible. En outre, rapporte Georges Fleury, qui rencontra le général de Boissieu en 1996, dans son Histoire secrète de l’OAS (Grasset), le Général « n’avait pas trouvé très chevaleresque que le chef de la conjuration se soit contenté de donner le signal du tir sans prendre lui-même part à l’embuscade ». Il lui reprochait aussi d’avoir mêlé des étrangers — les Hongrois Gyula Sari, Lajos Marton et LazloVarga, rescapés du soulèvement de 1956 — « à une affaire qui n’aurait dû intéresser que des Français ».
...De son côté, Bastien-Thiry s’était senti d’autant plus déterminé à éliminer le Général qu’entre l’attentat de Pont-sur-Seine et celui du Petit-Clamart, la tragédie algérienne n’avait fait qu’empirer. À son procès, ses défenseurs soutiendront que son intention n’avait été nullement de tuer le général de Gaulle, mais de l’enlever pour pouvoir le juger. Une thèse fragile compte tenu du nombre d’impacts de balles relevés sur la Citroën présidentielle, l’une d’entre elles n’ayant manqué son but que de justesse.


Au mois d’août 1962, Jean-Marie Bastien-Thiry est un homme fondamentalement révolté

...Brillant officier, devenu à la sortie de Polytechnique ingénieur de l’armée de l’air, il est, à 34 ans, ingénieur en chef de 2e classe, grade équivalent à celui de lieutenant-colonel. On lui doit la mise au point des missiles antichars filoguidés SS-10 et SS-11, ce qui a permis à certains de ses proches de le surnommer le “von Braun français”. C’est aussi un catholique profondément pieux et même mystique. Les événements d’Algérie n’ont fait que meurtrir au plus profond sa conscience d’homme, d’officier et de chrétien. Après l’échec du putsch militaire d’avril 1961 à Alger, dernière tentative d’une fraction de l’armée pour faire reculer le Général dans sa volonté de conduire l’Algérie à l’indépendance, l’Organisation armée secrète, l’OAS, a pris le relais. À la lutte contre le FLN algérien s’est ainsi superposé un affrontement franco-français sous le regard d’un adversaire qui, bientôt, sera devenu l’allié de l’exécutif.

En mars 1962 ont été signés les accords d’Évian

... censés mettre fin à la guerre d’Algérie et garantir la sécurité de tous, les Européens comme les musulmans fidèles à la France, y compris les anciens supplétifs (harkis et autres). Or, aussitôt après, les exactions commençaient sur l’ensemble du territoire algérien, sous l’oeil impuissant d’une armée française liée par un ordre de cessez-le-feu unilatéral. En juillet, tandis que les Européens fuyaient en masse un pays où ils redoutaient désormais le pire, l’Algérie accédait à l’indépendance. Quelques semaines plus tard, Ahmed ben Bella s’emparait du pouvoir, appuyé par le colonel Boumédiène, chef d’état-major de l’Armée de libération nationale, qui avait récusé les accords d’Évian. De ceuxci, il ne restait rien.


Le procès

...Au début de son procès, le 28 janvier 1963, Bastien- Thiry lut une longue déclaration en forme de réquisitoire contre le « pouvoir de fait » : « Par suite des conditions dans lesquelles a été obtenu ce qu’on a osé appeler le règlement du problème algérien, des principes et des lois qui sont ou qui devraient être à la base de la vie nationale ont été mis en question. […] Le danger que court actuellement ce pays ne vient pas d’un risque de destruction physique ou matérielle : il est plus subtil et plus profond, car il peut aboutir à la destruction de valeurs humaines, morales ou spirituelles qui constituent le patrimoine français. » Conclusion de l’accusé qui, par ce réquisitoire, sait qu’il vient de brûler ses vaisseaux : « Devant l’Histoire, devant nos concitoyens et devant nos enfants, nous proclamons notre innocence, car nous n’avons fait que mettre en pratique la grande et éternelle loi de solidarité entre les hommes. »


Trois autres membres de l’OAS avaient déjà été passés par les armes



... Albert Dovecar, sergent déserteur du Ier régiment étranger de parachutistes, et un civil algérois, Claude Piegts, fusillés le 7 juin 1962 pour avoir assassiné le commissaire central d’Alger Roger Gavoury ; un mois plus tard, le lieutenant Roger Degueldre, lui aussi déserteur du Ier Rep, devenu le chef des “commandos Delta” de l’organisation clandestine. Bastien-Thiry pouvait d’autant moins échapper à son destin que de Gaulle, en sa personne, voulait faire un exemple. Deux événements l’avaient profondément irrité. Le général Edmond Jouhaud, devenu le chef de l’OAS à Oran, avait été arrêté le 25 mars 1962, puis jugé et condamné à la peine capitale. Le 20 avril, le général Raoul Salan, chef suprême de l’organisation clandestine, avait à son tour été intercepté à Alger. Or, échappant paradoxalement à la peine de mort prononcée contre son adjoint, Salan fut simplement condamné à la détention criminelle à perpétuité par le Haut Tribunal militaire. Fureur du chef de l’État qui, du coup, décida de laisser la justice suivre son cours en ce qui concernait Jouhaud et de remplacer le Haut Tribunal militaire par une Cour militaire de justice, à sa main. Dans une note impérative adressée au premier ministre, Georges Pompidou, et au garde des Sceaux, Jean Foyer, il écrivit notamment : « J’attends un projet d’ordonnance réformant le code pénal notamment dans ses dispositions qui facilitent ou organisent l’obstruction, dès lors qu’il s’agit de juger des crimes contre la sûreté de l’État. » Pompidou et Foyer furent effarés par cette note et par l’annonce de l’imminente exécution de Jouhaud, au point de mettre leur démission dans la balance ; ils firent retarder, par différents procédés, cette exécution. Redoutant le scandale que ce double désaveu risquait de provoquer dans l’opinion, de Gaulle choisit finalement de reculer ; il gracia Jouhaud le 28 novembre 1962, après une double victoire au référendum sur l’élection du chef de l’État au suffrage universel et aux élections législatives. Mais, quatre mois plus tard, la grâce de Bastien-Thiry fut, elle, refusée.


Document "VALEURS ACTUELLES" n°3980 du 7 mars 2013

ce n'est qu'un au revoir
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